Point de vue d'une Chinoise sur le Lac Tchad

2011-09-02 19:00

En Afrique, à la saison humide, le temps est des plus capricieux : quand tout laisse penser qu’il va faire un soleil radieux, le ciel se couvre en un clin d’œil de gros nuages lourds, comme une étoffe bleu azur que des gamins espiègles auraient aspergée d’encre. Aussitôt, une pluie impétueuse s’abat, dévorant le sol sous les pieds des passants. Souvent, les éclairs et le tonnerre se mettent de la partie, ne voulant pas rater ce rendez-vous entre le ciel et la terre. Alors que l’averse et la foudre font rage, je me surprends à penser que je n’avais jamais imaginé que l’Afrique aussi connait de tels déluges, sans doute parce qu’il faut pénétrer en son cœur pour sentir la magie de ce continent.

    La pluie ayant ajourné mon excursion au lac Tchad, je m’assieds à la fenêtre et, les yeux rivés sur le ciel, je me perds dans mes pensées. Cependant, épuisés par tant d’agitation, les éléments semblent battre en retraite. C’est parti ! En route pour le lac Tchad, en route pour cette immense étendue d’eau !

À l’approche du lac, à défaut de route digne de ce nom, la voiture se fraye péniblement un chemin sur le sol boueux, évitant prudemment les flaques. Nous avançons en pleine nature. Autour de nous s’étale, à perte de vue, une immense prairie. Par endroit, quelques arbres rompent la monotonie de cette étendue d’herbe drue, d’un vert profond. Ça et là, des oiseaux insouciants se promènent d’un pas gracieux dans la végétation ou volent en cercle, au ras du sol. Dans les bosquets, des singes se balancent nonchalamment, sans s’inquiéter de trahir leur présence.

    Une pluie indolente nous accompagne jusqu’au bord de l’eau. Alors seulement, le lac apparaît dans toute sa splendeur, caché derrière la végétation. Dissimulant sa beauté comme une nymphe effarouchée, il ne dévoile jamais son vrai visage, garde pour lui ses mystères. Ce lac aux reflets de gemme, joyau de l’Afrique centrale, est le bassin nourricier du Tchad, du Cameroun, du Niger et du Nigéria. Son abondante faune, les roseaux qui poussent sur ses rives, les terres fertiles qui le bordent sont autant de cadeaux qu’il offre à sa région. Le fait même qu’il ait donné son nom à un pays, le Tchad, prouve son importance.

    Un hameau, sans doute de pêcheurs, est établi au bord du lac. Malgré la pluie, les villageois s’affairent sur leurs embarcations, manipulent les moteurs, écopent avec des bols. À côté, un groupe joyeux d’enfants s’amuse, sans se soucier des adultes qui peinent à la tâche. Se moquant de la pluie, ces adorables bambins s’approchent sans aucune timidité, nous saluent de la main.

    Un autochtone nous apprendra plus tard qu’il s’agit d’un camp provisoire. Leur village d’origine est fort éloigné mais à mesure que le niveau d’eau baisse, ces pêcheurs n’ont d’autre choix que de déplacer leurs habitations. Nous comprenons alors que la prairie que nous venons de traverser est l’ancien lit du lac, que les herbes ont envahi après son retrait. Nous peinons à concevoir que le lac Tchad, jadis si vaste, est aujourd’hui si gracile. De retour, nous découvrirons même que l’actuelle superficie du lac représente à peine 10 % de ce qu’elle a été et qu’elle diminue à grande vitesse. En quarante ans seulement ce lac millénaire a rétréci comme une peau de chagrin, à cause de la sécheresse bien sûr, mais surtout de l’activité humaine.

    Situé à proximité du désert du Sahara, la superficie du lac a toujours connu d’importants changements saisonniers. Ainsi, par le passé au plus fort de la saison des pluies, il s’étalait parfois sur 22 000 km², pour seulement 11 000 km² en pleine saison sèche. Aujourd’hui, sous, l’influence conjuguée du réchauffement climatique et de la désertification, l’évaporation s’accélère et il couvre à peine 2 000 km². Les activités humaines n’ont fait qu’amplifier ce phénomène : pratiquées pour des raisons économiques, la déforestation massive, l’irrigation dispendieuse et la construction de barrages en amont ont non seulement coupé son approvisionnement en eau mais aussi réduit la capacité du sol environnant à retenir l’eau, précipitant son recul.

    Or, cette situation met en péril les 20 millions d’habitants de ses rives, contraints de déplacer leurs villages, confrontés à l’effondrement des stocks de poisson et incapables d’irriguer leurs champs. Ce n’est donc plus seulement la pauvreté qui guette une partie de la population de cette région d’Afrique centrale mais le risque mortel de pénurie alimentaire.

    L’histoire nous apprend que développement économique et protection de l’environnement ont toujours été mis en concurrence. L’homme a souvent oublié qu’il est lui aussi un élément de la nature et qu’en détruisant les équilibres naturels, il scie la branche sur laquelle il est assis. Ainsi, motivées par des intérêts économiques, la déforestation, l’irrigation et la construction de barrages ont nuit au lac mais aussi, par une ironie tragique, à l’homme lui-même. Répétant ses erreurs, l’humain continue de tuer sa poule aux œufs d’or. C’est à s’interroger sur le bon sens de « la plus sage des créatures ».

Peut-être n’est-il pas trop tard. Peut-être que si nous prenons soin de chaque arbre, chaque brin d’herbe, que si nous exploitons les ressources naturelles de manière rationnelle, la nature, dans sa générosité, nous pardonnera. J’espère voir bientôt l’immensité du lac Tchad, être saisie par la beauté majestueuse de l’Afrique.